• C'est tout moi, et vous ?

    texte d'un anonyme dans un journal de rue

    reçu via  Maryse Laroque

     

    Aujourd’hui, tu as envie d’être mauvaise élève. Et c’est bien de cela qu’il s’agit car tu as réalisé que le capitalisme te note en permanence, il étudie de près tes résultats, comme un enfant dont il faut surveiller l’évolution fragile.

    C'est tout moi , et vous ?

    Dorvan création Photographie

     

     

    Un gamin qui fait des efforts, mais, néanmoins, souvent se plante, car comme tout le pays, il a de sérieux problèmes de croissance. Il ne paye pas ses impôts à temps et se prend ensuite de sales punitions – on lui fait payer son manque de discipline. Alors, il travaille plus, il travaille tard, il fait des nuits blanches, perd sa concentration. Et un jour, toi l’élève, tu te réveilles avec une terrible envie de fronde. C’est l’adolescence qui ressuscite, la conscience qui se cabre, et l’envie de lever bêtement le majeur quand on te dit : « calme-toi, ça va aller ». Non tu n’es pas calme car personne ne te laisse l’être. Le responsable du Trésor public avertit le banquier pour qu’il bloque ton compte, le banquier prévient le mec de l’agence immobilière que tu ne pourras pas payer ton loyer ce mois-ci et au moment où tous s’apprêtent à t’appeler pour te tomber dessus – comme la vie n’est pas si mal faite finalement - , SFR coupe opportunément ta ligne. Et là, s’installe un merveilleux silence. Tu ne reçois pas le texto exaspéré de la personne avec qui tu devais prendre un petit-déjeuner professionnel, rendez-vous de travail à l’heure du croissant matinal. Tu te demandes si un jour, on se donnera des rendez-vous de douche. On y parlerait de boulot en se brossant les dents, histoire de gagner encore quelques moitié d’heures sup’sur le reste de la vie. Flânant dans la rue, tu savoures cette joyeuse absence de nouvelles du monde. Comme tu n'as plus internet non plus, tu ne reçois pas d'alerte te mettant en garde contre le touriste Ebola qui pourrait venir passer de petites vacances en France. Du coup, tu ne regardes plus les autres citoyens comme des porteurs de virus et ne demandes pas l'addition, une main sur la bouche, à chaque fois que quelqu'un se met à tousser à la terrasse d'un café. Tu n'as plus de nouvelles non plus, des méchantes petites marionnettes qui font sans arrêt le triste spectacle de l'information, ni Zemmour, ni Morano. Tous, enfin, disparaissent de ton écran mental. Tu profites simplement des minutes qui passent à ne rien faire. Du temps perdu. Et de ce silence qui, comme le disait l'animateur José Artur, "est la sieste du bruit", tu rentres chez toi, tu t'allonges dans ton canapé. A ne rien faire, tu ressens le plaisir de la transgression ultime, un sentiment d'ivresse plus fort qu'un shot de vodka au réveil. Et très vite, tu t'ennuies. Tu ne sais plus que faire de toi. Tu voudrais payer ta facture de téléphone pour pouvoir perdre du temps sur Facebook, te divertir. Tu es si vide de toi qu'il faut bien te remplir. Au bout de dix minutes, tu n'y tiens plus. Tu sais que tu as tort de ne pas faire tes devoirs. Tu rouvres ton ordinateur et te mets à taper cette chronique. Rebelle de cour d'école, ta révolution ne dure pas plus que le temps d'une récréation

     

     

     

     

     

     

    https://soundcloud.com/cecilem-cecilem

     

     

     

     

     

           

     

     

     

     
     
     

     


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